Nous les arbres!



Arbres du jour et de la nuit
Candélabres de la noirceur, Hauts-commissaires des ténèbres, Malgré votre grandeur funèbre Arbres, mes frères et mes sœurs, Nous sommes de même famille, L’étrangeté se pousse en nous Jusqu’aux veinules, aux ramilles, Et nous comble de bout en bout. À vous la sève, à moi le sang, À vous la force, à moi l’accent Mais nuit et jour nous ressemblant, Régis par le suc du mystère, Offerts à la mort, au tonnerre, Vivant grand et petitement, L’infini qui nous désaltère Nous fait un même firmament. Nos racines sont souterraines, Notre front dans le ciel se perd Mais, tronc de bois ou cœur de chair, Nous n’avançons que dans nous-mêmes. L’angoisse nourrit notre histoire Et c’est un même bûcheron Qui, nous couchant de notre long, Viendra nous couper la mémoire.
Enfants de la chance et du vent,
Vous n'avez de père ni mère,
Vous êtes fils d'une grand-mère
La Terre, son vieil ornement,
Vous qui devenez innombrables
Dans vos branches comme à vos pieds
Et pouvez attraper du ciel
Aussi bien que fixer les sables.
Princes de l'immobilité,
Les oiseaux vous font confiance,
Vous savez garder le secret
D'un nid jusqu'à la délivrance.
À l'abri de vos cœurs touffus,
Vous façonnez toujours des ailes,
Et les projetez jusqu'aux nues
De votre arc secret mais fidèle.
Vous n'aurez pas connu l'amour,
Ô grandioses solitaires,
Toujours prisonniers de la Terre,
Ô Narcisses ligneux et sourds,
Ne regrettez pas l'aventure,
Heureux ceux que fixe le sort,
Ils en attendent mieux la mort,
Un voyageur vous en assure.
Jules Supervielle